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Après les papillons...
20 octobre 2022

Prénom

Elle disait :

 « Quand je me suis mariée, le médecin de la visite prénuptiale m’avait avertie que je n’aurais pas d’enfant sans subir d’abord une petite intervention chirurgicale.

Je me suis mariée au mois d’août. En septembre, j’ai su que j’étais enceinte. C’était une drôle de surprise. Mais on s’est faits à l’idée. On t’aurait appelé François ou bien Guillaume. Et puis, tu es née ! »

 

Elle disait :

 « Ton père est devenu bizarre quand j’ai été visiblement enceinte. Il a fallu le faire interner partiellement, juste en centre de jour. Il était schizophrène. C’est héréditaire, la schizophrénie. »

 

Elle disait :

 « Il voulait qu’on t’appelle Marie, pour faire plaisir à sa marraine, Maria, la sœur de son père ; et aussi à ma mère qui s’appelait Marie, mais détestait tellement son prénom (« Alle piêren van de melkboer hieten Marie », ce jeu de mot idiot sur Marie et merrie la hérissait de rage) qu’elle se faisait appeler Marie-Louise. Heureusement, quand il s’est agi de te déclarer à la commune, il était enfermé, et c’est une assistante sociale de la maternité qui y est allée. J’avais choisi un moindre mal : Marie, mais en plus, avec un trait d’union, Luce, dérivé du prénom de ta marraine Lucienne.

Il en a fait une crise quand il l’a su. »

 

Elle disait :

 « Et puis, je me suis de nouveau retrouvée enceinte. Le psychiatre qui suivait ton père m’avait fait une lettre. Il recommandait l’avortement, parce que le risque de malformation de l’enfant à naître était énorme. A cause des chocs insuliniques.
Je n’ai trouvé personne qui accepte. Alors j’ai mené cette grossesse jusqu’au bout. 

Quand j’ai accouché, j’avais déjà quitté ton père. »

 

Puis elle a dit :

« Françoise est née. C’était une belle enfant : elle me ressemblait. Elle avait une spina bifida et était borgne et sourde d’une oreille. Elle risquait de finir paralysée. Elle a vécu cinq jours. »

 

Elle disait. Et j’ai entendu surtout ce qu’elle ne disait pas.

 

Que mon prénom était un compromis, un arrangement bricolé à bouts de ficelle, et qui ne satisfaisait personne. Je m’en suis accommodée. J’ai fini par me sentir comme une petite loupiote pâle et vacillante dans une forêt. L’obscurité me faisait tellement peur ! Un jour, quelqu’un m’a surnommée « Luciole ». Avec tendresse (je me dis parfois : avec amour). Et ça m’a fait du bien. Et j’ai même aimé mon prénom, à la longue.

 

Que ma défunte et irremplaçable sœur était belle parce que c’était à elle qu’elle ressemblait. Pas, comme moi, qui ressemblais trop à mon père.

J’étais une enfant difficile, paraît-il. Toujours inquiète, toujours aux aguets, toujours agitée. Et donc, on m’a donné très tôt des calmants. D’abord en gouttes dans les biberons. Puis en gouttes dans un verre d’eau avant les repas. Puis, à l’adolescence, en comprimés. Et puis, j’ai refusé.

Depuis, je navigue à vue sur des tempêtes, je m’accroche pendant les ouragans à mon absence de racines. Je suis. Je survis.

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Commentaires
E
Ma Nourse...la lumière de ton deuxième prénom t'a permis d'ouvrir les yeux. Sur le pire mais aussi sur le meilleur. Love U<br /> <br /> .
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Après les papillons...
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