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Après les papillons...
13 décembre 2010

Au réveil (Banlieue ocre. Hors les murs)

Au réveil, tu te souviens qu’aujourd’hui, c’est ta fête. Les jours vont bientôt cesser de raccourcir. En bâillant, tu descends dans la grand-pièce. Tu as de la chance : il reste des braises vives, le feu sera facile à rallumer.

En attendant que l’eau chauffe, tu sors, et vas voir comment va ton monde, autour de la cour de cette ferme qui est désormais la tienne.

 

Tu entres dans l’écurie. Ah ! « Ils » sont passés cette nuit. Tu comptes sur tes doigts. C’est juste, et avec la lune aussi. Il faudra que tu penses à aller, bientôt, fleurir les fontaines. Comme ça se fait dans le canton où tu es née. Pas ici, où, pour un peu, les fontaines, on pisserait dedans…

 

« Ils » ont, cette fois encore, fait du beau travail. La litière de paille est fraîche. Les trois chevaux, étrillés à en être luisants, en ont jusque par dessus les pâturons. Même le poulain tardif de la vieille Bijou – c’est décidé, tu ne la mèneras plus à l’étalon désormais, elle est vraiment trop vieille – ce poulain, donc, ordinairement malingre et maussade, a l’œil vif, les oreilles en avant et un petit air de satisfaction guillerette.

 

C’est décembre, déjà. Tu te dis que tu n’auras pas trop de mal à faire la soudure. Il te reste assez de fourrage pour tenir un long hiver.

 

Tu as toujours respecté les coutumes de chez toi. C’est sans doute pour ça que, sur ta ferme, les enfants de la nuit ne jouent pas le moindre mauvais tour. Et tu reconnais leur travail à la manière, inimitable (et pourtant tu t’y es évertuée longtemps !) dont ils tressent les crins de Bijou, de sa fille Merveille, et même ceux du poulain auquel tu n’as pas encore osé donner de nom, tellement il te semblait fragile…

 

C’est là, brutalement, que tu prends peur. C’est que tu commences à te rendre compte que, dans le village, on t’en veut. D’abord, parce que tu viens d’ailleurs. Tant que ton mari était en vie, on t’a laissée en paix, c’est vrai. Mais maintenant qu’il n’y est plus, ça change.

On ne te pardonne pas, non plus, d’arriver à tenir la ferme seule avec tes deux enfants, et pour toute aide, cette petite, grasse comme une musaraigne, que tu as tirée d’une famille où le père, veuf, buvait et battait sa gamine. Et tu soupçonnes que le frère aîné faisait pire, même si tu ne veux pas vraiment savoir ce que ce «pire»-là pouvait bien être…

 

De plus, tu as déjà rembarré sec l’un ou l’autre des coqs du village à qui, d’évidence, leurs épouses ne suffisaient pas et qui te tournaient autour avec une insistance de mouches avant l’orage.

 

Tu as, aussi, des façons qui dérangent. Comme cette habitude de laisser courir ta truie dans la pâture en lisière du bois. Bien sûr, elle en revient pleine, et met bas à tous les coups, de petits tachetés et pelus qui ne doivent rien au verrat du grand Colin… Mais il ne t’en coûte rien, et s’ils engraissent peu, leur viande est tellement savoureuse !

 

Il y a aussi ces bouquets, ces offrandes de lait et de nourriture que tu sèmes aux quatre coins de tes terres. Ca commence à faire jaser…

Ca, et ta chance insolente, la belle santé de tes bêtes, alors que tant d’autres crèvent dans le village.

 

Tu t’en rends bien compte : on finira par tout te reprocher. Déjà, les commères, non contentes de t’accueillir d’un regard noir, arrêtent net leurs conversations quand elles te voient approcher.

 

Eh oui ! En ce joli matin de décembre, alors que la vie est clémente pour toi et les tiens et ta conscience nette, tu sens que la peur monte.

 

Tu peux bien. Tu les connais. Ils auront vite fait, d’ici peu, de dire qu’il n’y a pas de fumée sans feu… Et ce jour-là, c’est toi qui brûleras.

Mais qu’est-ce que tu peux y faire, hein ? 

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Commentaires
A
C'est beau la neige!<br /> <br /> Ici aussi, je me prends pour un trappeur à pas prendre la voiture...<br /> Décidément j'ai de plus en plus l'impression qu'on a eu la même enfance, moi en pastel, toi en couleurs franches...<br /> <br /> Swach, swach, la neige dans les chaussures....<br /> <br /> Bonne hibernation mon ourse!
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Après les papillons...
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