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Après les papillons...
17 janvier 2017

Papaoutai

Ce documentaire sur la CIA et ses méthodes de "recherche", années cinquante. Quelques images fugitives en noir et blanc de patients "traités" par coma insulinique... 

Comme mon père, qui bénéficia de l'alternative "humaine" que c'était censé représenter par rapport aux électrochocs classiques, au milieu des années cinquante.  

Mon père. Vingt ans après sa mort, il me manque. J'en pleure. Comme si cette absence m'était nouvelle. Il m'a toujours manqué. Même ces quelques années où je l'ai fréquenté un peu, il y a presque quarante ans. 

Il était à des milliards d'années lumière du portrait de monstre qu'on m'en avait fait. Il n'était pas cette horreur à laquelle il ne fallait pas que je ressemble. C'était juste un pauvre mec, cassé, et malheureux. On s'est loupés. Pas pu lui parler. Pas pu l'entendre non plus. On s'est manqués... encore !

Pas pu lui dire ces rêves de gamine où je pouvais enfin lui parler. Pour me faire une image de mon interlocuteur, selon mon âge, il a eu d'abord les traits de Buster Keaton, le maladroit muet ; puis ceux d'Antonin Artaud, le schizophrène à la beauté troublante, celui qui avait la même "maladie" que lui, et qu'on craignait que j'aie aussi. 

J'ai soixante ans, et je pleure encore son absence. Son obsédante absence. 

 

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Commentaires
J
Et si ce père absent prenait la parole ? D'entre les morts quelle voix s'élèverait, et surtout que dirait-elle ? Je pense que cette voix ne dirait pas grand chose d'ailleurs. C'était pas son genre de se lancer dans des grandes tirades, il préférait prendre son cahier cartonné, avec des pages jaunies et des petites lignes qu'il suivait religieusement. Qu'est-ce qu'il écrirait bien ? <br /> <br /> <br /> <br /> "Chère Marie-Luce, merci pour cette réhabilitation. Non, je n'étais pas un monstre, ni d'ailleurs indifférent. J'étais simplement déjà parti. Une vie qui démarre, des chevaux, des choses en vrac, un mariage, une fille, un divorce, tu sais bien qu'en dehors des amis équidés, point de salut pour ton vieux père. C'est vrai que j'aurais pu m'arranger, après coup. T'inclure là où tout le monde t'aurais voulu, mais Junon veillait au grain. Petite mais hargneuse, tu sais bien comme son oeil pouvait te transpercer, les regards en coin sur une face marmoréenne, la bouche tellement serrée qu'on ne lui voyait même plus les lèvres. Oui, j'aurais dû lui tenir tête, mais j'étais déjà parti. Où, je ne saurais te le dire avec des mots, ce n'était pas une absence comme on pourrait l'imaginer, un départ volontaire vers une destination intérieure, c'était un vide. Tu connais ces journées où le ciel est gris, et on n'est pas d'humeur à lire, à regarder la télé, ou se balader ? On bougonne. Voilà ce qu'était ma vie, un vie bougonnant. On pense construire, on pense reconstruire, mais quand les fondations sont bancales, la maison est branlante. Et quand le bon Dieu (God ziet mij ! Hier vloekt mijn niet ! Et pourtant, l'envie était là...) te colle un monstre dans les pattes, tu ne t'en défais pas, c'est le prix à payer. J'aurais pu (dû) partir. J'aurais pu (dû) te prendre près de moi plus souvent. Je ne l'ai pas fait. Je n'ai pas d'excuses. Je me dis que je suis parti comme je suis venu, transparent et silencieux, mais si 20 ans après mon absence te touche encore, c'est que j'ai raté mon coup. Mais dans le fond, n'ai-je vraiment rien légué ? Allons, tu es ma copie-carbone, ma plume-jumelle. D'où crois-tu que ça te vienne ? Mes silences, mon absence, peut-être ont-ils été responsables de ce que tu es aujourd'hui, cette libre-penseur qui s'affranchit du monde qui l'entoure. Pense à mes deux autres plus jeunes, et dis toi qu'ils sont exactement comme toi, n'est-ce pas un certain réconfort que tu puisses trouver à ton vieux paternel qui a brillé par son absence ? Ne pense d'ailleurs pas qu'eux t'ai oublié, comment le pourraient-ils d'ailleurs ? Pour eux tu es cette soeur intrigante, celle qui est venue, repartie, poussée dehors par la Medusa qui transformait tout ce qu'elle regardait en vide. Mes regrets sont là. Mon absence, mon malheur, qu'ai-je laissé ? Une alcoolique, un troufion qui veut frayer avec la bourgeoisie et qui vomit son passé en l'enrobant dans un voile de vertueuse arrogance brodé de blasons et d'histoires familiales abracadabrantesques (serions-nous descendant directs de Jésus en personne ? Un texte en flamand doit probablement en parler, sur fond de croix d'or à pals de gueules dorées), gorgés qu'ils sont d'une haine qu'ils vouent à mon absence autant qu'à la toute-puissance maternelle. Et les trois restants. Grand écart entre mon aînée et mes deux plus jeunes, tous trois électrons libres, tous trois qui avez mal vécu mes silences. Les trois plus sensibles, les trois plus marqués. Vous pensez différemment, mais de façon si identique. Vous avez eu votre lot. Cette bouffonnerie maternelle (des deux côtés !), devoir gueuler dans le vent sans être entendu, et rester avec ce qui n'est pas tout à fait de la rancoeur, plus tellement de la colère, juste un autre vide, fidèle à celui qui m'habitait. Mais ton vide n'est pas si vide, il est rempli de toi, rempli de moi, rempli d'eux, et rempli de toutes ces choses qui font de toi ce que tu es. Quelque part, une part de moi est très vivace en toi, et tu n'es pas seule. Je reste conscient que tu auras eu la place la plus difficile. Je suis venu, reparti, et de l'extérieur je donnais l'impression d'avoir recréé ce que je n'avais pas assumé avant. Je n'ai pas plus assumé après, ce n'est pas une consolation, plutôt un constat. Mais même parti, j'arrive à être fier. Forte, libre, et triste, c'est une image décalée qui colle à ce qui fait ta substance. Votre substance, notre substance. Va, ne pleure pas trop mon absence, je ne suis pas totalement parti. Mes absences ont fait de moi un homme de peu de mots, donc les vides et les silences peuvent facilement être remplis de moi".<br /> <br /> <br /> <br /> Voilà ce qu'il dirait. Et il aurait entièrement raison !
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Après les papillons...
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