Dédette (Campagnes)

La voilà. A la grosse louche, elle doit bien avoir trois ou quatre ans. Nous sommes au début des années trente. Une gamine potelée, les yeux très clairs, les cheveux qui font bien le casque, comme le veut la mode du temps. 
Elle est en séjour dans un hameau près de Malines. Les poumons fragiles. Des parents commerçants terriblement occupés. Une modeste famille du village lui tient lieu de parents de rechange. 
Elle ne donne guère de soucis, en fait. C'est une enfant tranquille. Entêtée, mais calme. 

Le marché, la foire du village. Bien sûr, elle y est allée voir, avec les enfants d'Ons Moe. Un marchand vante ses petits cochons. Elle écoute, elle regarde, de ses yeux si clairs. Lui, il l'a repérée. Avec sa jolie robe rose et son ruban dans les cheveux, la gamine est une petite citadine. Il a envie de s'amuser un peu. Alors, il lui dit que si elle arrive à prendre et à tenir dans ses bras un des petits cochons qu'il vend, elle poura l'avoir. Pour elle. Pour de bon. Pour rien. 

Elle le sait, que chez Ons Moe, c'est pas la vie facile tous les jours. Elle a terriblement envie de l'aider... 

Alors, elle attrape un petit cochon. Elle le prend dans ses bras, bien serré contre sa jolie robe rose. Il est lourd, et il gigote. Et il ne sent pas bon du tout. Mais elle le tient. Ons Moe sera tellement contente...

Et puis ? Eh bien, et puis, quatre-vingts ans après, quand elle y pense, elle râle encore.
Il n'a pas tenu parole, le marchand. Il a repris son cochon. La laissant dépitée, en colère, muette de rage.
Mais comment, sur la place publique, enguirlander un marchand de cochonnets, quand on est une petite citadine de trois ou quatre ans, avec sa jolie robe rose et ses grands yeux clairs ?