Espèces en voie de disparition

Depuis quelque temps, je me demandais où diable ils étaient passés, tous ces oiseaux que je n'entendais plus. 
Et aussi, comment se fait-il que les bruits domestiques me soient devenus à ce point insupportables ? 
Et encore, pourquoi la radio et la téloche hurlent-elles tout le temps ? Bon, je sais que mon compagnon est un peu dur de la feuille, mais quand même, à ce point ?

Et voilà. Je me retrouve à écrire encore un chapitre à l'histoire longue et compliquée du rapport que mon cerveau entretient avec mes oreilles. Mes pauvres oreilles ! Réceptacles de tant de malheurs, coffres clos sur tout ce qu'il m'a été impossible de dire... D'otites en chagrins, de silences en phrases qui tuent, elles ont été tantôt bouchées, tantôt trop vibrantes. A neuf ans, il avait fallu me forcer de l'air derrière les tympans. A onze ans, j'entendais les cris des chauves-souris. 

Ca fait presque trois ans, maintenant, que j'entends chuffloter une bouilloire en bruit de fond. Je ne perçois plus ce qui se dit dans une conversation chahutée de grande tablée. Que j'ai perdu d'ouïe - mais pas de vue - les oiseaux dont les chants... m'enchantaient. 

Ce n'est que maintenant que j'ai compris. En cherchant des explications au mot "acouphènes". Et à "ototoxicité". Ca me restera, cette perte. Je l'entendrai encore longtemps, cette bouilloire. Et il n'y a rien à y faire.  
La chimio ! Elle m'a sabordé les zabouilles. Le cisplatine est un des produits les plus dangereux pour le nerf auditif. Il faut surveiller sa toxicité pendant le traitement. Trop tard ! Je l'apprends trop tard...  

Et c'est pour ça que j'en parle. Vous autres, là, si vous passez un jour par là, n'hésitez pas à casser les pieds, ou les oreilles, à votre oncologue, si d'aventure, vos oreilles sifflotent. Faites-vous entendre... 

Sinon, vous devrez, comme moi, dire adieu aux chants des mésanges, des roitelets, des troglodytes, du rossignol... Et renoncer au silence. Parce que cet oiseau-là, les acouphènes le mettent en fuite, lui aussi !