Les second(e)s (Banlieue verte)
Il est des jours où, dans mon quartier, je me mets en route pour aller chercher, vite fait, du pain chez la boulangère. Et j'en reviens parfois, beaucoup plus tard. Certes, munie de mon pain, mais aussi lestée de confidences trop lourdes pour un seul cabas. Et qu'on déverse chez moi...
Je suis rentrée ce tantôt, le pied lourd et la tête au soleil, chargée du récit de la perte d'un être chéri en silence, aimé dans le secret et dont on n'a pu dès lors avouer le regret, si poignant qu'il puisse être. Surtout pas chez soi, dans son entourage proche. Mais pas non plus "de l'autre" côté, là où l'illégitimité ne donne pas droit à être...
Mon interlocutrice, visiblement, souffre de ce deuil impossible. Elle avait déjà, auparavant, tremblé pour ses amours, sans rien savoir de lui, et n'en pouvant rien apprendre. L'ami, l'aimé, l'amant était à l'hôpital et elle n'en savait rien. Juste qu'elle n'avait eu, de longtemps, de nouvelles de lui.
Et j'ai - furieusement - l'impression que la seule chose qui autorise cette femme à épancher dans mon giron ce trop-plein de larmes qui l'engotte, c'est que je suis une figure amicale. Mais surtout, une quasi-inconnue. Quelqu'un qui ne saura jamais de qui il s'agissait. Quelqu'un qui ne cherchera jamais à savoir, qui ne posera jamais de questions.
Du coup, je me demande... Combien sont-ils donc, à aimer en secret ? A ne pas pouvoir, aux moments où l'autre souffre, l'encourager de leur présence attentive et aimante ?
Et qui peut les soutenir, les écouter, eux, quand tout s'écroule, quand tout s'en va, et qu'ils restent seuls ? Tellement plus seuls de n'être jamais que "le second", "la seconde", l'illégitime qui n'aurait jamais dû être ? Qui ?