Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Après les papillons...
22 août 2010

Romani (Banlieue grise)

 

Il y a bien dix ans que je ne l’ai plus vue. Souvent, je repense à elle. Elle me manque. C’était du temps d’avant. Je vivais ailleurs. Et j’étais au chômage. Pas trop de monnaie en poche, mais la liberté de regarder autour de moi. Sans devoir galoper tout le temps.

 Elle faisait la manche sur le parking de la supérette du coin. Un petit magasin un peu cracra, mais sympathique. Moi, comme il fallait toujours que j’oublie l’une ou l’autre chose, ou que je tombe à court d’à peu près n’importe quoi à peu près n’importe quand, j’y passais souvent.

 A force de se voir quasi tous les jours, de se sourire en guise de bonjour, on a fini par prendre l’habitude de se parler. C’était pas simple. Elle baragouinait un sabir pas croyable, avec un mot ou l’autre de français qui surnageait dans le bouillon. Mais c’était pas grave : on a trouvé moyen de se comprendre très vite. Avec pas mal de gestes et un peu de bonne volonté, c’est fou à quoi on arrive !

 Elle vivait, clandestinement, avec mari et enfants, dans une piaule que je me représente bien dégueulasse, louée pour trop cher à un marchand de sommeil. Elle s’était arrangée, au moment où elle était passée avec sa famille en Allemagne, pour se faire faire une piqûre, « pour pas avoir des bébés », comme elle disait. Des enfants, elle en avait.  Je ne sais pas combien. Juste, je sais qu’en Roumanie, un jour que son fils avait de la fièvre, beaucoup de fièvre, elle a essayé d’aller le montrer à un médecin. A l’hôpital. On n’a pas voulu la laisser entrer avec le petit. En Roumanie, de ce temps-là, les enfants des Roms, on ne les soignait pas, même pas à l’hôpital. Et elle, elle, si craintive, si timide, elle avait insisté, harcelé, hurlé, tempêté. Jusqu’à ce qu’un des policiers appelés à la rescousse l’assomme, lui éclatant l’arcade sourcilière et la laisse dans le caniveau, son fils malade sur les bras. Elle en avait encore la cicatrice, de son arcade sourcilière éclatée, une grosse ligne blanche qui lui barr ait le sourcil et descendait frôler l’œil gauche.

 Elle m’a raconté ça, pêle-mêle, avec les mots qu’elle pouvait, en pleurant. Dans mes bras. Parce que, quand on voit un chagrin et une peur comme ça, eh bien, on ne peut pas rester planté là, sans réagir, sans un geste. Enfin, moi, je ne peux pas. A la voir comme je la voyais, presque tous les jours, elle était devenue comme une de ma famille. Une cousine de par loin, qui parlait pas ma langue mais que j’aimais beaucoup.

 Elle n’avait droit à rien. Ici non plus. Et elle ne sentait et ne racontait pas le temps comme nos bons fonctionnaires en leurs bureaux. Quand elle racontait, c’était difficile de savoir de quand elle parlait. Si c’était d’ici ou de là-bas. Mais elle rêvait de pouvoir rester. Dans une maison. Avec du travail, les enfants soignés et à l’école. Mais apparence, ça n’était pas possible.

 Elle avait de vilains soucis de santé, en plus. Il ne m’avait pas fallu longtemps, à voir où elle se passait la main en grimaçant par moments, pour comprendre que « nirollos », ça voulait dire « reins ». Et que ça n’allait pas du tout de ce côté-là.

Il a fallu que je discute, que j’argumente, que je parlemente avec elle pour lui faire accepter un arrangement à ma façon. J’avais trouvé un médecin qui était d’accord pour la voir et tenter de la soigner, sans papiers. J’étais d’accord pour payer la consultation et les médicaments. Un rendez-vous a été pris.

 Et quand je suis passée pour la repêcher, au jour dit, à l’heure dite, elle n’y était pas. Embarquée dans une rafle ? Expulsée ? Panique d’un mari méfiant ? Je n’en sais fichtre rien ! Je ne l’ai jamais revue. Et ça me fait souci. 

 

Publicité
Commentaires
Après les papillons...
Publicité
Publicité