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Après les papillons...
22 août 2010

Ca lui apprendra ! (Banlieue sombre)

Bon, quand on y repense, c’est vrai : il n’y a pas de quoi être bien fière. Je sais bien. Mais qu’est-ce que tu veux, on était plus jeunes de toutes ces années. Remarque, je suis pas sûre du tout que je referais pas pareil. 


 Ca a commencé par un truc con. Triste et con. Mais alors d’un con… La copine, elle revenait d’une soirée. Toute seule. A pinces. A cette heure-là, fallait pas rêver, tu n’avais plus la moindre chance de trouver un bus qui roule. Ca faisait beau jeu qu’ils faisaient dodo dans leur dépôt, les bus. C’est sage et bien élevé, tu me diras, ces affaires-là. Ca va pas se rentrer à pas d’heures… pas comme ces fichues gamines, c’est ça ? Qu’à force de se les chercher, les emmerdes, elles se les trouvent, c’est encore ça ? Merde ! Va te faire voir ! On rentre quand on veut, même quand on est une fille ! Mais pas en taxi, non. Trop cher pour nous, c’était. Il n’y en avait pas un dans la bande qui aurait pu se le payer, le taxi. Le mieux, ç’aurait été de rester sur place. Mais fallait rentrer. Les parents, ils voulaient pas qu’elle découche.

 Un bout de son trajet longeait un morceau de terrain vague, orties et petits buissons. Puis c’était pas éclairé du tout, là. C’est comme ça qu’elle s’est fait agripper par un mec, qui a ouvert la portière de sa bagnole et l’a tirée dedans. Elle ne faisait même pas du stop, non. Elle rentrait juste sagement à pinces chez ses parents. Et le mec, il lui a mis tout de suite un cutter sur la gorge. Va-t-en dire non quand c’est comme ça, tiens ! Je voudrais t’y voir, moi !

Donc, il a eu ce qu’il voulait, le mec. Et puis, coup de pied dans le cul, il l’a jetée sur le bord du trottoir et il a démarré. Elle est rentrée chez ses vieux. Elle leur a rien dit. Ils étaient contents : elle était à l’heure… Elle s’est couchée. Elle a presque dormi.


Le lendemain, quand toute la bande s’est retrouvée, elle a raconté le truc. Son mec, en bon mec, il a piqué la grosse crise. Serré les poings, juré qu’il allait le retrouver, qu’il allait le démolir, que ça n’allait pas rester comme ça… Enfin, des trucs de mec, quoi. Avec les autres qui roulaient des mécaniques autour de lui, qui juraient qu’ils étaient avec lui, qui en rajoutaient sur tous les tons. Nous les filles, on la fermait. C’est vrai, qu’est-ce que tu veux dire quand t’es une fille et que tu entends ce qui vient d’arriver à ta copine ? Tu le sais bien, que ça pourrait aussi bien t’être arrivé à toi… ou à n’importe laquelle, là, des filles de la bande, ou de n’importe quelle bande, d’ailleurs.


Pas question, bien sûr, d’aller pleurer chez les flics. C’était déjà assez avec ce qu’elle avait subi. Fallait pas encore aller chercher l’engueulade, les questions sales qui collent et les remarques à la con, genre : « Tu l’as bien cherché, petite idiote ! ». Puis pour quoi faire, hein, la plainte ? Un procès ? Puis quoi encore ?


Pendant trois jours, au moins, les mecs, ils ont tourné dans le quartier où c’était arrivé, la gueule mauvaise, toujours à plusieurs. Chaque fois, après, ils allaient se boire un verre ou deux. Le jules à la copine, il répétait sur tous les tons pendant une heure ou deux qu’il allait la venger et qu’il fallait punir ce type. Après, lestés de bières, ils se rentraient chez eux. Sans problèmes.


Nous les filles, on disait trop rien encore. Juste on se voyait plus que d’habitude. La copine, elle avait fini par nous pleurer dans le gilet. C’était pas plus mal. Faut dire qu’elle était soulagée : elle était enfin sûre de ne pas être en cloque. Il aurait plus manqué que ça !

Comme on se voyait plus souvent, et qu’on restait parfois à discuter longtemps, on se rentrait en se raccompagnant les unes les autres. C’était un peu compliqué, mais comme ça, y en avait plus jamais une qui se retrouvait seule, tard. On était souvent à cinq. Avec la copine qui s’était fait violer au milieu. Parce qu’elle avait peur, depuis. Alors, on s’arrangeait pour l’encadrer.


Ca a duré pas loin d’un mois comme ça. A la fin, les mecs, ils avaient repris leurs façons comme d’habitude. Bon, normal, c’est des mecs, quoi… Nous les filles, on avait gardé le système qu’on avait comm encé : toujours à plusieurs, toujours la copine encadrée.


C’est comme ça qu’un soir, un peu par hasard, on a croisé le mec. La copine, elle est devenue toute pâle. Elle l’a juste montré du doigt au moment où on le croisait, et elle a murmuré « lui » d’une drôle de voix, comme si elle était sur le point de dégueuler.


Alors, je ne sais pas ce qui nous a pris. On ne s’est rien dit, on n’a pas réfléchi, on ne s’est pas mises d’accord. C’est parti tout seul. On lui a emboîté le pas. C’était justement du côté du terrain vague. Un moment, il nous a entendues. Il a fait demi-tour. Et il a fini par la reconnaître, elle, là, au milieu, toute pâle. Et comme les quatre autres, nous, on lui fonçait dessus, il a pris peur. Il a commencé à reculer. Et comme un con, il s’est embrouillé les pieds dans une cannette. Du coup, il est tombé. A plat sur le dos. Comme une tortue renversée.


Je vivrais cent ans que je pourrais pas expliquer comment ça s’est passé, ni ce qui nous a pris. Mais dès qu’il a été par terre, toutes le quatre, on a commencé à lui taper dessus, lui shooter dans les côtes. Je ne saurai jamais qui d’entre nous lui a mis le coup de pied dans les couilles qui l’a fait commencer à gueuler, ni qui lui a fichu son pied en pleine tronche qui l’a fait taire.


Mais ensuite, on est parties, on est allées se boire un café dans un bistrot du quartier. On s’est souhaité la bonne nuit et on est rentrées se coucher. Fatiguées, mais tranquilles. Et on n’en a plus jamais parlé, après.


Je sais pas trop ce qu’il en est advenu, de ce mec. Mais ça lui apprendra. 

 

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Commentaires
F
bravo Marie-Puce, tu sais comme on a apprécié ce texte sur FB
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